Introduction et contexte de la IIIe Republique

Dès les débuts de sa carrière dans la presse, Henri Galli perçut que ses idéaux républicains seraient parfois mis à mal, au nom de la constatation prosaïque des réalités bien humaines de nombre de ses maîtres ou guides de jeunesse. Son journal personnel, politique dès 1870, qu’il s’astreignit d’écrire au jour le jour, est le recueil idéal de ses commentaires et pensées. Les mœurs et intérêts particuliers des élites du pays eurent tant de mal à se hausser à la mesure de la terrible épreuve qui s’annonçait, après la réunification allemande sous l’emprise prussienne et la période bismarckienne jusqu’en 1890. Les deux dernières décennies du siècle voient les courants, légitimiste, nationaliste, monarchiste, s’entrechoquer frontalement avec ceux du bonapartisme, anarchisme,  socialisme et radical socialisme au profit du groupe radical en France. Les institutions provisoires fonctionnent et se pérennisent. Après le président Félix Faure, le président Fallières succède au président Loubet, mais les chambres plutôt à gauche radicale et parfois modérées ont consolidé la République, sous les directions successives de Ribot, Bourgeois,  Méline, Brisson, Dupuy, Waldeck-Rousseau, puis Combes (jusqu’au 1 janvier 1905). Il faudra tout de même encore onze autres présidents du Conseil jusqu’à la guerre. Il faudra compter alors également avec les péripéties dramatiques de l’affaire Dreyfus qui déchira et bouleversa bien des clivages établis entre 1894 et 1906.  

Ailleurs dès 1905 en Russie, ouvrant la route aux dérives révolutionnaires bientôt organisées dans la mouvance bolchevique, des mouvements insurrectionnels se sont créés ou fédérés en Europe qui déboucheront sur la révolution russe de Mars et Octobre 1917, et plus tard sur la chute de la dynastie impériale allemande des Hohenzollern. Sous la troisième République, les mouvements d’idées conflictuelles continuent de se propager non seulement à Paris, mais également dans les multiples publications qui fleurissent dans la presse nationale et régionale. La France, enrichie par l’essor industriel, mais encore profondément rurale, se réveillera et parfois se mobilisera sous l’effet nouveau de campagnes d’opinions, que les journaux font connaître au grand public qui se découvre des inspirations et des aspirations à la mode.  

Après le Second empire, la défaite de 1870 et la Commune, la République balbutiante de monsieur Thiers relève la tête et se consolide peu à peu jusqu’à la fin du siècle, malgré les rechutes et les crises. La politique très antireligieuse du pouvoir fait la guerre aux congrégations et réforme l’instruction publique, en la rendant laïque et obligatoire pour mieux établir les convictions et les fondations du régime. Une politique coloniale est mise en œuvre pour rétablir le rang international de la France de l’Afrique à l’Asie. Les journaux permirent aux lecteurs de projeter sur le monde entier un regard interrogateur et intéressé aux expéditions même lointaines. Les ouvrages d’inventions et d’aventures firent les beaux jours des affichistes, des caricaturistes et des romanciers, en même temps que le plaisir des générations nouvelles. Avec et après les expéditions coloniales, les Français se passionneront pour ces causes nouvelles, Jules Vernes et Paul d’Ivoi feront rêver leur lecteurs. Par ailleurs, les expositions universelles seront de formidables catalyseurs de mouvements d’intérêt.  

Dès 1900, après bien des combats politiques et électoraux, la mairie de Paris ouvrira ses portes à Henri Galli comme conseiller municipal. En 1911-12, il présidera le Conseil général de la Seine, en 1912-13, la Municipalité, avant de devenir, en 1914, député de Paris. Enfin, pendant la période de la guerre 14-18, il sera membre de plusieurs missions pour la Chambre des députés, dont celle du chômage et celle des prisonniers de guerre, de façon plus importante il sera membre de la Commission de l’armée à partir de 1916, puis l’un des vingt délégués de cette commission. Durant la guerre, il perdra son fils aîné, mon oncle Robert en 1915 ; mon père, Pierre, soldat de la classe 16, était son second fils. 

Dans l’écriture quotidienne de son journal de guerre, en sus de ses nombreuses responsabilités municipales et sociales à la ville de Paris, ou parlementaires à la Chambre des députés, Henri Galli en chroniqueur très proche du pouvoir nous fait partager ses et leurs émotions et difficultés d’hommes politiques ou chefs militaires. Il accompagne les uns, encourage ou conseille les autres. Son énergie dynamique comme ses affinités, ses talents d’homme de cœur, lui ont fait côtoyer bien des grands « fauves » politiques républicains et militaires de cette époque exceptionnelle, avant et au cours de la guerre.  

Aussi, peu après l’instauration de la Mission du Centenaire de la Grande Guerre de 1914 à 1918, j’ai entrepris  une relecture de la partie correspondante du journal. L’intérêt, l’actualité même, le récit coloré et palpitant des événements que j’y trouvai alors, me convainquit de faire partager ces pages d’histoire politique non seulement aux historiens, mais aussi à un plus large public. Je me lançais dans la transcription informatique pour cette édition.